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« Black » ou « Noir(e) » ? « Racisé » ou « BIPOC » ?

Chronique Par Melissa Bertulien



Depuis quelques années, le langage utilisé pour décrire les « personnes de couleur » et « issues de la diversité » se veut de plus en plus précis. « Noir », « afrodescendant », « racisé », « minorité visible », « groupe ethnique », sont des mots que l’on voit et l’on entend de plus en plus dans nos conversations et dans les médias.


Pourtant, on peine à utiliser les bons termes dans les bonnes circonstances pour nous désigner. Encore tout récemment j’entendais une de mes collègues d’origine française me décrire comme étant « black ». Personnellement, je n’ai aucun mal à dire que je suis « noire ».


Pour une raison qui m’échappe encore, beaucoup de personnes « blanches », surtout d’origine française utilisent le mot « black » au lieu de « noir » pour décrire une personne de couleur. En France, les termes comme « black », « kebla », à la peau brune sont couramment utilisés pour éviter de dire « noir ». À mon avis, cette manie à vouloir éviter l’usage du mot « noir » n’arrange rien et plutôt fait perpétuer le tabou autour de ce mot.


D’où vient cet inconfort à utiliser ce mot ? Pourquoi notre société ressent-elle encore le besoin de le remplacer ?


L’incidence de la colonisation sur l’usage du mot noir


Sur le plan socio-politique, il va sans dire que les périodes colonialiste et post-colonialiste en Europe comme en Amérique du Nord en sont sans aucun doute pour quelque chose. Le colonialisme a contribué à établir l’idéologie de race dont le précepte principal est la suprématie blanche. Cette pensée raciste a contribué à maintenir et à justifier le colonialisme français. Elle a donné aux colonisateurs une raison d’entériner leur besoin d’assimiler les « Noirs », les Asiatiques et les « autochtones » dont ils considéraient l’intelligence inférieure à la leur allant jusqu’à douter de leur humanité…


Par ailleurs, entre l’influence du clergé sur la politique, en passant par les tombes anonymes des pensionnats autochtones, les dommages du colonialisme français sur l’histoire du Québec ne peuvent plus être ignorés.


Malheureusement, les inégalités engendrées par le colonialisme français sont encore très présentes dans notre société. Et la majorité « blanche » profite encore des déséquilibres institués il y a maintenant plus de 400 ans.


Par exemple, encore aujourd’hui, les minorités culturelles sont encore sous représentées dans le milieu des arts et du divertissement.


D’ailleurs, en France, la montée du Front national à partir des années 80 n’a certes pas aidé à l’intégration des « Noirs », des Arabes ou des Latinos dans les arts et la culture française. Si à la même époque, et avant, les acteurs afro-américains ont lentement réussi à se frayer une place dans l’industrie du cinéma et des arts, en France et au Québec plusieurs d’entre eux ne sont pas reconnus à leur juste valeur.


Aujourd’hui, il y en a quelques-uns qui se sont imposé(e)s dans l’industrie notamment Jamel Debbouze, Omar Sy et Aissa Maiga. Au Québec, on peut citer Shelby Jean-Baptiste et Patrick Emmanuel Abellard.


L’impact de l’art dans l’évolution des terminologies désignant les communautés noires


Il est important de mentionner que la naissance du mouvement politique révolutionnaire pour les droits civiques « Black Panthers » et « Black Power » vers la fin des années soixante aux États-Unis a accentué l’usage du mot « Black ». Avec ces mouvements, les Afro-Américains veulent combattre le racisme et mettre en exergue leur négritude dans la société américaine.


D’autre part, l’historien Nicolas Bancel affirme que l’utilisation du terme « black » par les Français, naît de la culture hip-hop afro-américaine qui arrive avec force en France au début des années quatre-vingt. L’utilisation du mot « black » tient aussi son influence de l’ensemble des arts et de la musique où de plus en plus d’afro-descendants évoluent rapidement ; et contribuent à changer les stéréotypes nourris par la majorité caucasienne.


Dans la même période, toujours aux États-Unis, Jean-Michel Basquiat fait son entrée comme artiste néo-impressionniste, en littérature Toni Morrison est récipiendaire du prix « Pulitzer », Alvin Ailey reçoit « l’American Dance Festival Award » et à la télévision, la famille Cosby nous raconte les tribulations d’une famille afro-descendante dont le père est médecin et la mère avocate. La France comprend qu’être « black » peut être autre que les images stéréotypées et statiques dont elle est habituée.


Communautés racisées, racialisées et PANDC


Le mot racisé est arrivé dans le Petit Robert en 2019 et dans le Larousse en 2022 et est défini comme suit : « Quelqu’un qui est l’objet de perceptions ou de comportements racistes » (Larousse 2022). Selon moi, l’utilisation du mot racisé contribue à rendre tabou, les mots qui identifient clairement les groupes ethniques et les personnes victimes de racisme.


Le mot racisé devrait essentiellement être utilisé pour définir un groupe de personnes d’ethnicités différentes qui est victime d’une forme de discrimination donnée.


Prenons l’énoncé suivant : « L’immigration au Canada est plus difficile pour les personnes racisées. » Ne pourrions-nous pas dire : « L’immigration au Canada est plus difficile pour les personnes d’origine africaine, antillaise, et latine ?»; pour ainsi permettre d’identifier clairement les différents groupes de personnes dont il est question ?


L’usage de ce mot entretien selon moi, l’ignorance et donne la fausse impression que la couleur de la peau et le bagage ethno-culturel, ne sont pas des éléments considérés par le « système », pour favoriser la majorité caucasienne au détriment des minorités.


J’éprouve aussi un malaise lorsqu’on utilise les acronymes BIPOC (Black Indigineous and people of Color) ou en français PANDC (Personne Autochtone, Noire et de Couleur). Ces termes ne devraient qu’être utilisés que dans des contextes où l’on tente de décrire plusieurs groupes de personnes visées et victimes d’une même discrimination, entre autres à cause de leur race, de leur culture, leur religion, leur ethnicité. Et non pour définir un seul individu.

En somme, je considère que l’utilisation des mots racisé et racialisé contribuent à nourrir le racisme, les différences de races purement inventées qui privilégient la majorité caucasienne et pousse certains extrémistes à justifier son hégémonie, voire sa suprématie. Alors que les personnes noires sont constamment discriminées, et non seulement par la majorité blanche, mais aussi par d’autres groupes ethniques, l’utilisation du mot racisé atténue selon moi, l’ampleur et l’importance de l’acte posé par la personne ou le système à qui cette inégalité bénéficie.


Mais il n’y a pas de racisme au Québec…


Si le besoin d’éviter de dire le mot noir est une tendance surtout remarquée en France, et peut-être, entre autres justifié par la surutilisation d’anglicismes dans ce pays, je remarque cette tendance aussi chez certains Montréalais. Or, selon la circonstance, le mot noir, selon moi, n’a aucune connotation péjorative, lorsqu’il est utilisé pour décrire le physique ou l’ethnie d’une personne. Bien que la langue française soit constituée de mots et d’expressions où le mot noir a une signification péjorative (travail au noir, broyer du noir, avoir les idées noires…), personnellement, je me considère comme une femme noire et qu’on me décrive de la sorte ne me dérange absolument pas. C’est d’ailleurs avec fierté que je porte cet adjectif et n’hésite pas à corriger les personnes qui hésitent à le dire.


Prenons un exemple encore plus concret : le racisme systémique, qui selon Amnistie internationale désigne l’ensemble de la structure sociétale composée d’institutions, de lois et de politiques qui maintiennent un système d’inégalités, qui confèrent des privilèges aux personnes blanches et portent atteinte aux droits des personnes noires, racisées et autochtones.

Dans ce cas-ci, toujours selon moi, le mot BIPOC, PANDC ou racisé est tout à fait approprié pour définir l’ensemble des groupes stigmatisés par le racisme systémique. Cependant, j’aimerais mettre l’accent sur le fait que les noirs sont plus souvent, victimes de discriminations dans notre société. Je comprends et reconnais le besoin et la nécessité de défendre tous les groupes marginalisés. Je souligne la nécessité d’avoir une vision intersectionnelle du racisme et des autres formes de discriminations. Or, que l’on parle de brutalité policière, d’accès à de la nourriture, d’accès à l’éducation, ou du taux de chômage, le fait d’être noir est malheureusement souvent considéré comme un des premiers facteurs de risque dans différentes études longitudinales. Il faut prendre conscience de ces déséquilibres pour pouvoir mieux s’organiser et les contester.


D’ailleurs, en s’acharnant à refuser l’existence du racisme systémique, le gouvernement Legault, contribue à perpétuer la perte de pouvoir social que les personnes autochtones noires et de couleurs tentent tant bien que mal de s’accorder depuis trop longtemps, en plus de garder son électorat dans une ignorance que même le riche vocabulaire de Mathieu Bock-Côté ne peut masquer.

Prétextant la volonté d’inclusion, la « Coalition Avenir Québec » dissimule ses intentions cachées, et du même coup, tente de camoufler les inégalités dont les personnes de couleurs sont victimes quotidiennement au Québec dans nos écoles, dans nos milieux de travail, mais aussi dans les arts et en politique. Même avec sa campagne de sensibilisation contre le racisme et les préjugés, la CAQ n’a pas réussi à dissimuler l’écart existant entre le parti et les communautés ethniques. La fameuse campagne allait comme suit :


Un groupe de jeunes noirs rassemblés dans un parc à la tombée de la nuit, on appelle ça des Québécoises et des Québécois. » Cette campagne vous a-t-elle convaincu de l’implication réelle de la CAQ dans la lutte contre les inégalités ?


Pour ma part, je m’engage à nommer fièrement tous les attributs qui me définissent, moi, mon ethnicité et ma négritude. Et j’éduque mes filles à faire de même. Et si cela met certaines personnes mal à l’aise, tant mieux ! Embrasser ce malaise est une occasion d’entamer des conversations difficiles et combien nuancées qui sont cependant plus que nécessaires pour entamer le changement dont notre société a grandement besoin…


Pour finir, l’usage des termes noirs, racisé ou PANDC ne font pas l’unanimité au sein de la communauté afro au Canada. Si pour une raison quelconque, utiliser le mot noir vous met mal à l’aise, afro-descendant reste, dans la majorité des cas, le terme le plus acceptable.


Et vous, comment préférez-vous que l’on vous décrive ?

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